L'hémérocalle
Je pourrais rester immobile à écouter la pluie tomber
Ou sentir la chaleur du soleil sur ma peau
Me tenir là dans la succession des jours aux nuits
et des nuits aux jours
Limiter mes gestes et mes paroles comme pour l'éternité d'un instant
Me fondre au possible dans le cycle du temps
Dans la continuité immortelle d'un moment
Regarder seulement la danse des particules de poussière
Dans les rayons de lumière d’une lampe ou du jour
De l’aurore s’immisçant dans les percées d’un volet
Qui viendrait répandre une douce clarté
En tenant pour un temps l’obscurité en échec
Je pourrais regarder et ne désirer qu’une chose :
N’être rien moins qu’une de ces particules
Vivre la vie sans vouloir la changer
Y participer pas plus que tombe la pluie
Souffle le vent
Passe le temps…
Mais l’existence est une implication que l’indifférence ne peut effacer
Car on ne peut être en toute innocence
Et fuir les responsabilités de notre simple présence.
D’ailleurs un autre jour
Tu es assis seul dans un café
Tu regardes au dehors la rue s’agiter
Le vent balayer les feuilles de marronniers
Les gens passer
Puis ton verre
Puis de nouveau la rue
Puis de nouveau ton verre
Puis le cendrier…
Tu ne penses à rien.
La fumée de cigarette te pique les yeux
Tu sens cette odeur de bière et de tabac mêlés
Une main est abandonnée sur la table quand l’autre enlace ton verre.
Tu es un sujet regardant et peut-être même regardé
Tu es aussi ce passant
Tu es aussi ce client
Et tu seras l’absent…
Quand des pensées te viennent :
Il te souvient d’un jour passé…
Tu penses ensuite qu’il faudrait que tu rappelles cet ami que tu as négligé
Mais… le feras-tu vraiment ?
Enfin tu regardes ta montre et tu te dis qu’il te faut partir
Qu’il te faut y aller
Alors tu te lèves et tu rejoins la rue…
Tu es un sujet pensant et se déplaçant…
Souffrant et riant…
Tu es un sujet vivant.
Il y aura sans doute encore beaucoup de matins à vivre et de chemins à prendre
Des jours et des nuits ponctuées de nouveaux visages
Il y aura sans doute encore beaucoup de rires et de larmes sur mes joues
Creusant les sillons imperceptibles de l’âge…
Un corps souffrant et s’épanouissant jusqu’à l’épuisement…
Un corps debout dans la rosée d’une fraîche matinée…
Un cœur abîmé et battant dans la soirée d’une nuit étoilée…
Un cœur aimant ces moments de bien-être et de félicité
Il y aura sans doute encore beaucoup de pluie et d’odeurs de terre mouillée
Des rayons perçant la ramée d’un sous-bois automnal…
Des bruits de vent secouant les feuilles et les vagues d’une mer létale
Des silences reposants et angoissants…
Des solitudes
Il y aura sans doute ma peau frémissant au toucher
Des habitudes
Des joies
Des peines
Des haines
Et dans tes yeux aussi parfois
Autant d’instants qui font une vie
Et encore beaucoup de vies après la mienne
Des instants qu’il ne faudrait pas laisser
Dès lors que la mort viendra s’en charger…