L'instance d'une présence
dans la monotonie des jours
Stabat
Peut-être en avait-elle assez
De cette invariabilité des jours
A attendre ce je-ne-sais-quoi
Ce quelquefois dans des toujours
A espérer dans ce sempiternel
Et insignifiant compte à rebours
Une vie qui passe sans réponses
Et qui demeure toujours
Au seuil des interrogations
Des questions timidement posées
Ou à peine esquissées
Puis enfouies sous le flot
Incessant des années
A quoi pouvait-elle bien penser
Quant au petit matin elle fixait l'horizon en buvant son café
Pendant que le "tic tac" de la pendule égrenait les secondes ?
Elle profitait alors de la tranquillité de la maison désertée
Et de cette lumière qui redonnait aux objets leur apaisante sérénité
A quoi pouvait-elle bien penser durant cette seule et courte pause
Qu'elle s'autorisait avant une journée qui s'annonçait chargée ?
Elle se tenait debout
Immobile
Sur le damier noir et blanc
Du carrelage de la cuisine
Elle profitait instinctivement
Du calme matutinale
Avant la tempête
Journalière et banale
Quotidienne et triviale
A quoi pouvait-elle bien penser
Pendant que le "tic tac" de la pendule Betty Boop
Répondait en écho au "ploc ploc" de la goutte d'eau ?
A ces études qu'elle avait dû abandonner trop tôt
A ces cours de danse qu'elle aurait bien aimé continuer
A ce premier amour qui lui avait promis la traversée des mers
A ce père auquel elle n'avait jamais vraiment réussi à parler
A ce travail qu'elle avait dû refuser pour s'occuper de sa mère
Peut-être alors son esprit vagabondait
Seulement dans un reposant néant
Simplement dans un être-là évident
Le soleil illuminait l'eau du vase
Qui encerclait le bouquet de fleurs coupées
De belles tulipes rouges foncés
Qui imperceptiblement dépérissaient
Sur la table du séjour
Quand la grande aiguille atteignait
Les trois quarts de la pendule Betty Boop
Il lui fallait alors enfiler sa blouse
Dès lors sa journée passait
Dans la poussière et le bruit
Dans la froideur de l'atelier
A attendre la sortie
La sueur
Et la peine
Les déceptions
Et la fatigue
Finissaient par flétrir
Lentement mais surement
Les vestiges de cette beauté éreintée.
Mater
Elle passait sa journée
Dans des attentes frustrées
Dans un temps inachevé
Toujours recommencé
L'attente de pouvoir
Retrouver son foyer
Mais au sein duquel
Il lui fallait continuer
Toujours recommencer
Un foyer qui ne pouvait
Etre totalement pour elle
Un havre de paix
Mais juste la continuité
De cette journée chargée
Après un passage rapide au supermarché
Qu'allait-elle leur faire à manger
Que fallait-il racheter
Faire attention au budget
Mais quand même se procurer
Quelques produits de beauté
Elle troquait seulement sa blouse pour le tablier
Au supermarché elle fredonnait souvent
Les chansons qu'elle aimait tant
Des chansons qu'elle fredonnait également
Dans sa voiture tout en roulant
Le travail continuait
Toujours recommencé
Non plus cette fois
Dans le décor froid
Des tôles ondulées
Du vaste atelier
Mais dans la sécurité feutrée
Confortablement entourée
De ses objets familiers
Sur le guéridon de l'entrée
Des souvenirs négligés
Reposaient là… délaissés
Sa photo de mariage
Celle de son époux
Celle de son enfant
Et une autre d'eux trois
En vacances à la mer
Ranger les provisions
Faire le ménage
Faire la vaisselle
Faire une lessive
Faire
Défaire
Faire
Refaire
S'affairer
Pour seulement satisfaire
Son rôle d'épouse et de mère
En même temps elle regardait défiler
Les images du journal télévisé
On meurt un peu partout
C'est effrayant et rassurant
C'est tellement proche et loin de nous
Et puis encore attendre
Que son enfant rentre de l'école
Lui préparer son gouter
Et puis encore attendre
Que son mari rentre du travail
Leur préparer à souper
Regarder la télé
Puis aller se coucher
Toujours recommencer.
Dolorosa
Rien ne distinguait cette matinée d'une autre
Si ce n'est peut-être que le bouleau au tronc blanc
Seul au milieu du champ
Semblait plus isolé qu'avant
Peut-être ne fallait-il pas chercher dans cette journée
De signification cachée
Peut-être que cette journée
Aurait tout aussi bien pu en être une autre
Mais ce fut celle-là
Cette journée là
Et pas une autre
Il fit son entrée dans sa vie
Sans pourquoi
Ni comment
Sans prévenir
Fortuitement
Comme la chute d’un objet
Devant elle
À ses pieds
Comme un coup de chance aux dés
Inattendu
Inespéré
Telle une étoile filante
Dans des longues nuits
D’hiver et d'ennui
Il passa dans son attente
Il fit une irruption limpide
Dans son présent insipide
Alors son âme se mit à frémir
Au début doucement
Puis plus fortement
Et enfin violement
Comme un vent messager
Avant l’orage d’été :
Il remue d'abord lentement les ramées
L'odeur d'ondée précède
Les grondements
Des éclairs
Avant d'éclater en orage
Qui vient tout balayer
Il emporta au passage un peu de sa docile raison
Mais apporta avec lui un peu d’ivresse et de déraison
Mais surtout du mouvement dans cette existence figée
De la pluie et du vent sur cette terre asséchée
Elle se découvrit alors une force
Inattendue et passionnelle
Une capacité à aimer
Qui brisa l’écorce
Qui recouvrait sa beauté
Et son désir d'être belle
Elle se découvrit une volonté
Insoupçonnée et pulsionnelle
Qui ôta le corselet
Qui captivait sa féminité
Et sa sensualité
Et son besoin d’être elle
Elle se découvrit
Autant d'amour enfoui
Qu'il y avait eu de lassitude accumulée
D’épuisement entassé
D'ennuis agglutinés
De promesses évanouies
Sous la monotonie de sa vie
Peut-être n’a-t-il pas eu besoin de lui parler
Se contentant seulement de la regarder
Mais de la regarder enfin comme une femme
Désirable du corps à l'âme
Peut-être aussi en a-t-elle eu assez de ce mari
Qui passait plus de temps à astiquer sa voiture
Qu’à la caresser elle
Qui passer plus de temps à regarder le sport à la télé
Qu’à la regarder elle
Peut-être en a-t-elle eu assez de cette vie
De prévisibilités routinières
Et d’habitudes ordinaires
Peut-être ce jour là avait-elle mis cette petite robe à fleurs
Qui lui allait si bien
Qu’elle avait acheté au marché
Mais qu'elle n'avait jamais porté
Peut-être est-il resté là à attendre toute la journée
Peut-être est-il même resté là à attendre toute la semaine
Mais peut-être n'ont-ils même pas eu à se décider
Face à l'évidence de cet amour souverain et partagé
Au contact de sa peau dans la douceur de ces je t’aime
Quand elle prit sa décision
Elle n'entendit pas le bruit du tambour de la machine à laver
Qui essorait le linge au rythme de 1200 tours minute
Elle ne sentit que ce mélange de peur et d'excitation
Son cœur qui battait au rythme de 140 pulsations minute
Un grain de sable
Ne voulait pas du désert
Il aurait préféré
Les profondeurs de la mer
Un jour peut-être
Un courant d'air le mènera
Assez loin de cet inconsolable
Et insatiable besoin d’autre part.