La disparition des abeilles
Il n’aura dû compter sur aucun héritage
Il n’aura rien reçu
Et qu’aura-t-il laissé ?
Il ne connaît qu’approximativement son âge
Il n’a pas d’enfant
Il ne s’est pas marié.
Il garde dans son portefeuille
La lettre de sa mère
D’une écriture tremblante
Sur le bleu d’un papier.
Outre cette lettre et un siège pour bébé
Il n’a reçu qu’un prénom
Qu’il n’a jamais aimé.
Son arbre généalogique
Ne remonte qu’à cette femme
– cette inconnue qui lui a donné vie –
Et fini avec lui…
Il se prénomme Didier.
Tous les soirs à la fenêtre
Avant d’aller au lit
Il fume une dernière cigarette.
Derrière chaque lumière allumée dans la nuit il imagine les vies.
Il ne fréquente que deux ou trois amis
Des collègues de travail
Avec lesquels il joue
Chaque semaine au tiercé.
Il joue depuis longtemps
Mais n’a jamais gagné
Cette somme qui lui permettrait
De tout arrêter…
Partir…
Voyager…
Il n’a connu que trois ou quatre femmes
Mais sans savoir vraiment
S’il a connu l’amour.
Peut-être n’était-ce que ça…
Ou bien peut-être pas.
Il aura mangé dormi baisé chié
Il aura ri pleuré travaillé pissé…
Vivre doit être autre chose
Ou peut-être n’est-ce que ça.
Il n’est affilié à aucun parti
Il a bien un avis sur ce qui serait bon
Pour le bien du pays
Mais comme les 64 millions d’individus
Du dernier relevé.
Il n’a jamais voté.
Il n’est d’aucune confession religieuse
Peut-être que Dieu existe
Peut-être n’existe-t-il pas
Et après ?
Il n’a jamais prié.
Il n’est bénévole d’aucune association
Et n’a jamais rien versé
Aux œuvres caritatives
Il a lui-même du mal à boucler ses fins de mois.
Son travail consiste à souder un composant électronique
Sur un circuit imprimé périphérique.
Lequel circuit imprimé entre dans la composition du système de guidage des avions de ligne Airbus.
C’est tout ce qu’il peut en dire
Il n’en est pas très sûr.
Il n’a jamais volé
Ni jamais voyagé.
Il pense qu’une machine pourrait faire son travail
Mais que l’homme aujourd’hui est devenu plus rentable.
Et surtout plus maniable
Qu’une coûteuse machine.
Il n’aime pas travailler.
Le monde est sa prison
Il s’en évade parfois
D’une promenade dans les bois
Ou bien en écoutant
Ses disques de Johnny.
Il aurait bien voulu savoir travailler le bois
Faire des meubles ou bien des objets
Ou même, pourquoi pas ? Peut-être bien sculpter.
Il a entendu dire dans une émission à la télévision
Que les abeilles étaient en voie de disparition
Que cela constituait une grande menace pour l’environnement
Et même aussi pour l’homme.
La disparition des abeilles
Indispensables à la pollinisation des fleurs et des plantes
Entraînerait la disparition de certaines espèces végétales
Qui entraînerait donc la disparition de certaines espèces animales.
Lui n’est pas une abeille.
Les avions n’ont pas toujours volé
Mais les abeilles ont toujours fait du miel.
Il regarde les toits
Puis le ciel étoilé
Au loin un chien aboie
Le fond de l’air est frais.
La chanson qu’il écoute
Parle de « …volonté de prolonger la nuit
De désir fou de vivre une autre vie… »
Ses volutes de fumée
S’évanouissent dans la nuit.
Il n’est pas fatigué
Mais doit se lever tôt
Après sa cigarette
Il éteint la radio
Et va rejoindre
Son Lit.